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V. — Conclusion


A. Ce que la distinction « plaidoyer / lobbying » n’est pas

Il est important de commencer cette conclusion en précisant que distinguer « lobbying » et « plaidoyer » peut apparaître comme une spécificité française, toute relative (puisqu’aux États-Unis sont opposés les Interests Groups et l’Advocacy par exemple). Au niveau européen, si distinction il y a, celle-ci est relativement souple. Les acteurs interrogés ont confirmé l’hypothèse que la distinction entre le lobbyiste et le plaideur n’emporte pas de différences dans la pratique de leur métier — convenu comme un seul et même métier.

S’il existe des outils propres au lobbying et au plaidoyer, il apparaît que les registres d’actions — sans être pleinement congruents — ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et qu’ils recouvrent des réalités communes (telles que l’important d’avoir une cartographie ou de définir un positionnement communicable et transmissible par voie écrite). Plus encore, on peut constater que des outils du plaideurs sont peu à peu repris par les milieux d’affaires — tels que la mobilisation collective ou la mise en place de concertations à grande échelle, en interne (concertation des collaborateurs) avec des solutions comme Toguna® et en externe (concertation des tiers et des parties-prenantes) avec des solutions comme Make.Org. Cette porosité démontre que la distinction entre le lobbying et le plaidoyer est loin d’être ferme et absolue.

En outre, les deux activités de lobbying et plaidoyer sont l’objet d’une professionnalisation croissante à travers le parcours professionnel des acteurs, le développement d’études spécialisées dans la fabrique de la norme et l’essor des passerelles entre les humanités, les formations d’ingénieurs et la science politique.

Ces différents éléments tendent à réduire les digues conceptuelles qui laissaient croire ab initio à l’existence d’infranchissables obstacles entre le lobbying et le plaidoyer. Faisant fi des postulats franco-français, nous avons pu démontrer la proximité qui existent entre le lobbying et le plaidoyer en termes d’outils, de méthodes et de trajectoires historiques et professionnelles. Pour autant, des différences subsistent et c’est tout le sens du point suivant. Il s’agit essentiellement de souligner les critères de différenciation structurants, en ce qu’ils font sens et permettent une approche conceptuelle plus rigoureuse du « lobbying », d’une part, et du « plaidoyer », d’autre part.

B. Les critères distinctifs qui semblent structurants

Lobbying et plaidoyer renvoient bien à deux réalités temporelles différentes. Ainsi, nous postulons que le plaidoyer et le lobbying sont deux étapes intermédiaires entre le débat public (que matérialisent les mobilisations médiatiques, sociales et citoyennes, mais également politiques en contexte électoral) et la décision ou l’action publiques.

Figure 5 Schéma synthétique de l’essai de définition du lobbying et du plaidoyer, comme deux activités distinctes mais complémentaires voire confondues dans le temps.

Cette représentation reprend notamment l’observation du directeur des affaires publiques d’une association professionnelle : « Les stratégies « 360 » sont très importantes, tant en France qu’à Bruxelles. »[1] Et c’est en effet l’une des conclusions que nous tirons de l’étude du lobbying et du plaidoyer en France. Tandis que le premier vise les décideurs publics pour atteindre la norme, le second vise le grand public pour atteindre les responsables politiques.

En proposant cette approche chronologique, nous concluons que le plaidoyer se situe dans un cadre plus large d’audience et de positionnement que le lobbying. Précisons également que les acteurs pratiquant le lobbying et le plaidoyer sont susceptibles d’intervenir aussi (avant, pendant ou après la décision) dans le débat public.

Le plaidoyer consisterait alors en une activité davantage d’information et de sensibilisation des publics actifs (qu’ils soient ou non titulaires d’une charge publique) que d’influence technique visant l’action de décider. Le plaidoyer en tant qu’activité sociale structurée voire professionnalisée succèderait ainsi à l’érection, dans l’espace public, d’un sujet d’actualité ou de mobilisation au rang de problème public. Tout en précisant que le plaideur a pu contribuer à faire émerger le problème public en intervenant dans quelques médias et groupes d’audience. Il aurait ainsi une fonction pédagogique tant à destination des publics engagés que des décideurs publics compétents. À ce stade, tous les représentants d’intérêts (sans distinction entre l’acteur-plaideur et l’acteur-lobbyiste) sont susceptibles de plaider.

Pour sa part, le lobbying stricto sensu se situerait à une échelle plus circonscrite de destinataires des messages que de positionnement des messages. Les messages sont alors adressés aux décideurs publics et sont davantage techniques pour être directement utiles au décideur.[2] Cela étant, il peut arriver que le lobbyiste s’éloigne des sphères décisionnelles pour reprendre une logique de plaidoyer et ainsi réarmer l’intérêt collectif pour un problème public ou renforcer la coalition de soutiens aux solutions portées face à ce problème. En d’autres termes, lobbying, plaidoyer et relations publiques se succèdent, parfois de façon linéaire (relations publiques puis plaidoyer puis lobbying). Le plus souvent ce sont des combinaisons de successions alternatives (voire erratiques). L’exemple le plus clair est la succession autour de la consigne pour réemploi et pour recyclage.

En effet, ce fut notamment le cas de la feuille de route économie circulaire (FREC) qui précéda la loi quasi-éponyme. En nommant une figure majeure du militantisme écologique ministre d’État, Emmanuel Macron a contribué à faire émerger de nombreux sujets environnementaux dans l’espace public et médiatique. Fortement mobilisées, les ONG ont saisi l’opportunité pour susciter l’émergence de questions environnementales au rang de problèmes publics tels que la lutte contre le changement climatique. Parmi les solutions promues pour lutter contre le dérèglement climatique : le développement de l’économie de la ressource et de la fonctionnalité. Une concertation large a abouti à la FREC — avec une mobilisation essentielle des ONG et des acteurs économiques. Le résultat obtenu est typiquement le fruit du plaidoyer, porteur d’une vision stratégique de la transformation économique. Mais pour contraindre l’action publique et réguler l’action privée, il fut nécessaire de définir une nouvelle « norme » juridique à travers la décision publique. Cette décision, législative puis réglementaire, se traduisit par la loi « antigaspillage et économie circulaire (AGEC) ». La « feuille de route » devint alors un « projet de loi ».

À la démarche programmatique du plaidoyer (proposant une vision stratégique à moyen et long terme) succède une approche plus technique et opérationnelle (avec des propositions de normes stricto sensu) visant à déterminer « les principes fondamentaux […] de la préservation de l’environnement [et le] régime […] des obligations civiles et commerciales. »[3] Il ressort que tout type de représentants d’intérêts est intervenu à tout moment du processus. Nous trouvons des ONG et des acteurs économiques à chaque stade, de l’espace publique et médiatique aux réunions réglementaires préalables à la publication des décrets et arrêtés d’application de la loi.

Loin de distinguer le lobbying et le plaidoyer au regard de la qualité civile des acteurs, nous proposons plutôt de distinguer ces deux activités selon le moment d’intervention des acteurs. Une entreprise comme une ONG qui se positionne médiatiquement pour ou contre une écotaxe est dans une logique de débat public. Puis, en formulant des arguments étayés pour justifier l’instauration ou non d’une telle taxe, les représentants d’intérêts plaident « en faveur […] de quelque chose ; prendre la défense d’une cause, développer des arguments en sa faveur ».[4]

Enfin, lorsque le sujet du plaidoyer devient l’objet d’un texte normatif, alors les représentants d’intérêts entrent-ils dans une nouvelle phase dite de « lobbying » c’est-à-dire de contribution technique et politique pour influer le contenu, le sens voire le sort du projet normatif. C’est ainsi que les ONG comme les acteurs privés transmettent des propositions législatives[5] et réglementaires. Ce fut notamment le cas en amont des débats à l’Assemblée nationale du projet de loi « Climat et Résilience ».[6]

Nous concluons donc que la distinction lobbying/plaidoyer et par extension entre « lobbyiste » et « plaideur » n’est pas tant le reflet de la nature des acteurs, de l’objet des actions ou des sujets défendus que de la prédominance quotidienne des activités. Ainsi, le lobbyiste, majoritaire chez les opérateurs économiques privés et publics, se concentre principalement sur la phase de dialogue direct avec les décideurs publics dont l’objectif est la décision normative. Pour sa part, le plaideur, majoritaire en ONG et structures associatives privées, se positionne principalement dans le portage d’une vision stratégique et programmatique de l’action publique, intervenant en tant que lobbyiste lorsque ses causes pénètrent l’espace décisionnel.

Un grand merci à toutes et tous pour votre lecture, votre temps et nos futurs échanges !
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[1] Entretien du 18 mars 2021 avec le directeur des affaires publiques d’une fédération française, anciennement collaborateur parlementaire au Parlement européen et directeur des affaires publiques d’une fédération européenne

[2] Entretien réalisé le 9 avril 2021 avec Mme Marta de Cidrac, sénatrice LR des Yvelines, ancienne rapporteure des projets de loi « surtransposition du droit européen » (abandonné) et « économie circulaire » (loi promulguée en février 2020). Lors de cet entretien, la Sénatrice a insisté sur la technicité croissante des lois. La technicité des propositions (notamment à travers les propositions d’amendements législatifs) matérialise la professionnalisation du lobbying.

[3] Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 en vigueur au 1er juillet 2019

[4] Définition I. 3. de « plaider » du CNRTL. Consultée le 11 avril 2021 à 14h09. Source : https://www.cnrtl.fr/definition/plaider

[5] Souvent dénommées « amendements clefs en mains »

[6] Citons notamment le « cahier d’amendements » du Réseau Action Climat (notamment la version du 16 février 2021 que nous avons pu consulter) et les « Contributions de Suez au projet de loi climat et résilience » rendues publiques par le Groupe via un document dédié. Les documents sont portés en annexes.

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