“Jeux d’influence” : le lobbying acharné (et renouvelé) de Ronald McDonald’s contre le réemploi

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Dans la coulisse des institutions européennes, McDonald’s mène une bataille acharnée depuis près d’un an. Leur cible : la proposition de règlement sur les emballages et les déchets d’emballages (PPWR) qui, dans la version présentée par la Commission européenne en novembre 2022 et récemment votée en Commission ENVI, impose le réemploi dans la restauration rapide.  Décryptage et analyse de cette stratégie d’influence inédite par son ampleur et son ambiguïté.

De mémoire de lobbyistes et de parlementaires européens, jamais un texte n’avait fait l’objet d’un tel acharnement que la proposition de règlement des emballages et déchets d’emballages. L’intensité de cette bataille conduite en grande partie par McDonald’s a même poussé Pascal Canfin, président de la Commission ENVI au Parlement européen, à rompre avec sa réserve habituelle. Dans une tribune publiée dans les colonnes de Libération, Ila publiquement dénoncé le lobbying agressif du géant américain. Pratiques qui ont par la suite été dénoncées par de nombreux parlementaires, pointant du doigt le non-respect des règles suite au scandale de corruption du ‘’Qatargate’’ au sein du Parlement européen.

Cette situation plonge les observateurs dans une réalité qui rappelle le film « Thank You for Smoking ». Mais au-delà du fantasme, les actions récentes menées par McDonald’s nous invite à déconstruire en profondeur sa stratégie d’influence, non seulement pour en comprendre les facteurs qui peuvent contribuer à son succès (et donc mieux lutter contre) notamment sur son réseau et son financement, mais aussi pour ce qu’elle révèle sur les pratiques actuelles du lobbying, ainsi que sur l’évolution des pratiques dans ce secteur. Analyse :

En France vs En Europe : dr jekyll et mr hyde

Depuis le 1er janvier 2023, la loi AGEC en France exige des contenants réemployables dans la restauration rapide (quand la consommation se fait sur place). Un changement de paradigme majeur et écologiquement responsable : cette mesure permet d’éviter près de 200 000 tonnes de déchets chaque année.

Lors de l’examen du texte sur les emballages réemployables en France en 2020, McDonald’s avait déjà manifesté son opposition, mais sans succès, le texte étant finalement adopté. Ironiquement, depuis cette adoption, McDonald’s se vante d’avoir adopté la vaisselle réemployable en France, initiant une campagne publicitaire sur le sujet face aux concurrents qui ont fait de même, et inscrivant ce point dans ses engagements d’ecoconception.Pourtant, plusieurs associations environnementales ont à plusieurs reprises pointé du doigt le fait que beaucoup de restaurants ne sont toujours pas équipés, plus de 10 mois après l’entrée en vigueur du texte. Une scène de la célèbre série Netflix « Emily in Paris », qui aurait pu être amusante si elle ne soulevait pas une question plus sérieuse, présente les personnages mangeant dans des contenants réutilisables dans le McDonald’s des Champs Elysée …. qui n’est pas équipé “dans la vraie vie”.

Incohérence au niveau national McDonald’s l’est encore plus au niveau européen : tout en appliquant (ou “tentant” de le faire) les nouvelles normes en France, McDonald’s s’efforce de contrecarrer les mêmes initiatives au niveau européen.

Inspirée par la réglementation française, ambitieuse sur ce sujet, la Commission européenne a proposé d’imposer le réemploi dans la restauration rapide dans sa proposition de révision de la directive emballages, devenue règlement, présentée en novembre 2022. Problème : les intérêts économiques de l’industrie du fast-food sont directement impactés par la mesure. 


Étape par étape, ces acteurs, McDonald’s en tête, multiplient les actions d’influence pour vider de sa substance le texte.

La recette de l’influence sauce big mac, étapes par étape

Étape 1 : “crédibiliser la démarche avec une vraie fausse étude”

McDonald’s a confié à Kearney, une organisation qui a également collaboré avec le World Economic Forum sur des sujets similaires, la réalisation d’une étude. En parallèle, la firme a lancé le site nosilverbullet.eu pour promouvoir les conclusions de cette étude.

Lors d’un événement organisé par l’Alliance européenne des emballages en papier (EPPA) au Parlement européen le 28 février, cette étude a été présentée, avançant que les mesures de réemploi préconisées par la PPWR pourraient se révéler préjudiciables à l’économie, à la sécurité alimentaire et à l’environnement, en augmentant potentiellement les déchets d’emballages plastiques. Insistant sur une « équivalence » entre recyclage et réemploi, McDonald’s a souligné les limites de l’étude d’impact de la Commission, jugée trop simpliste pour leur secteur. « Pour une analyse plus nuancée, nous avons sollicité Kearney », a

Problème : les chiffres avancés dans cette étude sont tout au mieux fragiles, au pire faux, et ont depuis été discrédités par un consortium de plusieurs scientifiques européen (dans une lettre ouverte).

Etape 2 : “Positionner ses alliés”

Dans le cadre d’une alliance formée à la suite de la publication de l’étude, le groupe d’entreprises appelé Together for Sustainable Packaging s’adresse aux nouvelles règles qui empêcheraient les chaînes comme Baskin Robbins et McDonald’s d’utiliser des emballages à usage unique pour les aliments servis en magasin. On retrouve ici la logique de l’astroturfing décrite dans  l’étude lobbying et plaidoyer environnementaux : des jumeaux vénitiens ? Le terme « astroturfing » est né en 1986 par le sénateur du Texas Lloyd M.Bentsen afin de décrire une campagne de relations publiques conduite par une entreprise, visant à simuler l’opinion de citoyens. L’objectif des campagnes « d’astroturfing » est de véhiculer, dans le débat public, un message ou une position, qui converge avec la parole de l’industrie, en le diffusant comme étant spontané et désintéressée, dissimulant son côté commandité, et en donnant l’apparence qu’il émane de consommateurs ou citoyens.


Etape 3 : “l’Union fait la force”

Cette campagne s’est ensuite renforcée par une lettre ouverte auprès des contacts institutionnels de Bruxelles et du grand public, publiée sur le site internet en avril dernier. Parmi les signataires : un certain… McDonald’s

Etape 4 : “Occuper le terrain”

Un partenariat juteux avec le média Politico pour un affichage du logo et de ses recommandations dans les newsletters envoyé aux fichiers clients du média politique et un affichage de McDonald’s pour l’événement annuel de Politico sur l’environnement ‘’sustainable future week’’.

Etape 5 : “La fin justifie les moyens”

La campagne de sensibilisation menée par les lobbyistes et destinée au grand public s’est intensifiée, utilisant divers moyens de communication, y compris des affichages publicitaires dans le métro de la capitale européenne.

Etape 6 : “Massifier les efforts”

Cette offensive médiatique se double d’une campagne de lobbying intense auprès des parlementaires européens. Les lobbyistes insistent sur les menaces que le texte de compromis poserait au secteur de l’emballage, arguant qu’il ne favoriserait pas le meilleur résultat environnemental et laisserait trop d’incertitudes à la Commission européenne. Dernière innovation en date avec l’apposition de pancartes sur les portes des parlementaires au sein même du Parlement européen. Cette action ayant été menée par l’organisation 360 foodservice, anciennement connu sous le nom de Pack2go, dirigé par le cabinet Eamonn Bates qui gère également l’organisation Clean Europe Network…cette même organisation épinglée par Elise Lucet dans cash investigations en 2018 et par Corporate Europe Observatory  lors de la négociations sur la directive européenne sur les plastiques à usage unique, et dont McDonald’s est membre. Cerise sur le gâteau avec la publication d’une tribune via l’Alliance européenne des emballages en papier (EPPA) dans un journal français pour dénoncer les méfaits de la mesure française sur les emballages réemployables dans la restauration et propose d’utiliser massivement les emballages en papier.


Lobbying : les grands enseignements de cette campagne

Chaque étape de cette campagne poursuit un objectif clair : la promotion des avantages présumés de l’emballage à usage unique par opposition à l’emballage réemployable. C’est peut-être le plus intriguant : la création d’un récit autour de la vertu du papier carton par opposition au réemploi, une idée contre-intuitive qui a pourtant trouvé un écho favorable. Plusieurs députés ont été convaincus par l’argument selon lequel, bien que luttant contre le plastique, le papier carton serait préférable, séduits par des images de communication mettant en avant de charmants paysages d’arbres. Ce récit s’est avéré si puissant qu’il a été presque impossible à réfuter, même pour les ONG.

Autre fait marquant : la chaîne de restauration rapide n’a presque jamais mené de campagnes en son propre nom. En réalité, l’acteur le plus influent dans cette affaire a été l’Alliance européenne des emballages en papier (EPPA), et plus particulièrement son président très actif. Ce dernier a non seulement parcouru les couloirs de Strasbourg pour nouer des liens avec les députés et assistants parlementaires (APA), mais a également mobilisé son vaste réseau italien pour susciter un front national contre le texte, tout en trouvant des relais dans la presse française.

La véritable force de McDonald’s réside néanmoins dans sa capacité d’anticipation. Leur premier événement s’est déroulé dès février, un moment stratégiquement précoce dans l’agenda parlementaire, ce qui a permis à leur narratif de s’implanter profondément. A contrario, l’étude du Centre commun de recherche (JRC) ou la lettre d’un consortium de scientifique,  est arrivée bien trop tard pour influencer significativement le débat.

Au-delà, cette campagne d’influence révèle une technique relativement nouvelle qui mérite d’être déconstruite : l’adoption des logiques de plaidoyer au sein des stratégies de lobbying traditionnelles plus globales. En effet, certaines des actions menées par McDonald’s rappellent étrangement celles employées, parfois, par les organisations environnementales dans leurs campagnes.

Cette approche, décrite en détail dans l’étude « Lobbying et plaidoyer environnementaux : des jumeaux vénitiens ? » souligne l’entrelacement des outils de lobbying et de plaidoyer. L’objectif est d’influencer à la fois les décideurs politiques et le grand public, en instillant un doute stratégique. Bien que les coalitions ne soient pas une nouveauté, l’accent mis sur les campagnes médiatiques et publiques est en augmentation, démontrant une volonté des entreprises de combiner plaidoyer et lobbying pour renforcer leur influence.

Il est à espérer que le 22 novembre, lors du vote en plénière, ces méthodes traditionnelles de lobbying, désormais “modernisées” à l’aide de logiques de  plaidoyer, s’avèrent inefficaces. En effet, c’est l’ avenir de l’emballage à usage unique en Europe qui est en jeu, et espérons-le, aussi sa fin.

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